Cancers gynécologiques et mammaires : de l'ADN au scalpel

L'ÉDITO Du Professeur Catherine Uzan, Chef du Service de Chirurgie et Cancérologie Gynécologique et Mammaire Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université-Médecine

Cancers gynécologiques et mammaires : de l'ADN au scalpel

Si la génétique est toujours impliquée dans le mécanisme de survenue d’un cancer, dans la plupart des cas, il s’agit d’anomalies acquises et le cancer est dit « sporadique ». Dans peu de cas  (ce pourcentage varie selon le type de cancer), il s’agit d’anomalies génétiques «héritées» (ou germinales) dont la présence va favoriser la survenue de la maladie.

Quelle que soit leur origine, ces mutations génétiques vont modifier la prise en charge des cancers. L’exemple le plus marquant est celui des thérapies médicales dites « ciblées » qui permettent d’agir et de détruire les cellules qui présentent telle ou telle anomalie.

Mais il n’y a pas que les thérapies médicales qui soient ciblées, la chirurgie l’est également !

La chirurgie de prévention de risque (antérieurement appelée chirurgie prophylactique) consiste à proposer aux patientes chez qui on a identifié un très haut risque de cancer de réaliser une chirurgie pour éviter le cancer. L’exemple le plus célèbre étant celui d’Angelina Jolie qui, en ayant une ablation des deux seins avec reconstruction immédiate et annexectomie bilatérale (ablation des ovaires et des trompes) en l’absence de maladie déclarée, a fait découvrir à beaucoup ce qui est proposé aux patientes porteuses d’une mutation BRCA.

Ces propositions chirurgicales, hier exceptionnelles, sont désormais plus fréquentes et nécessitent une réflexion allant très au-delà de la chirurgie et impliquant non seulement un diagnostic génétique formel, mais également une information loyale complète, ainsi qu’une évaluation de l’impact psychologique sur les patientes et sur leur environnement familial. En France, des règles de bonnes pratiques garantissent une décision mûrement réfléchie avant de pratiquer cette chirurgie de prévention de risque sur une patiente non atteinte. L’autre option que choisissent de nombreuses  patientes est de recourir à une surveillance très rapprochée, qui ne réduit pas le risque de survenue du cancer mais permet d’intervenir plus tôt en réduisant la morbidité (c’est-à-dire l’étendue des traitements).

Dans certains cas, cette surveillance ne permet pas d’obtenir un diagnostic précoce, c’est le cas en particulier du cancer de l’ovaire, qui lorsqu’il est détecté par une imagerie est parfois à un stade déjà avancé. C’est toute « l’ambiguïté » de ces situations « de prévention » qui occasionnent un risque de complication et une angoisse des patientes, alors qu’elles ne sont pas malades et ne le seront peut-être jamais.

A toutes ces questions se surajoutent celle de l’âge de la réalisation de cet acte, celle des modalités de la surveillance et celle de l’anticipation des éventuelles conséquences physiques et psychologiques. Les situations sont parfois extrêmement délicates, car la chirurgie réduit le risque, mais ne le supprime pas complètement.

Ainsi la chirurgie pour le risque de cancer des trompes et de l’ovaire permet d’éviter à 96% le risque de futur cancer à ce niveau mais ça  n’est pas 100% ;  le cancer peut aussi survenir au niveau du péritoine (le tissu qui recouvre tous les organes abdominaux et qui évidemment ne peut être retiré en prévention).

Récemment une de mes patientes qui comme elle le dit si bien a « tout fait comme une bonne élève, tout comme on m’a dit ! » à savoir mastectomie et annexectomie bilatérale de prévention a présenté un cancer du péritoine. On comprend aisément son sentiment d’injustice d’autant que dans ces cas il faut associer « Chirurgie extensive », chimiothérapie et thérapie ciblée. De surcroit son inquiétude ne se limite pas à sa personne mais à l’une de ses filles qui est porteuse de  la même mutation. On voit bien ici comment chirurgien, oncogénéticien et psychologue doivent intimement travailler ensemble pour conseiller et épauler ces familles ébranlées par ces épreuves.

Accompagner l’entourage familial dans un tel parcours de soins nécessite de témoigner d’un grand professionnalisme permettant de recevoir en retour une confiance à la hauteur de la conscience et de l’engagement du médecin. Cette confiance, si elle repose sur un individu, un chirurgien, un oncologue, un généticien, etc… n’a de sens que si cet individu est l’intermédiaire entre la patiente et une équipe complète et solide, capable de faciliter l’acceptation et le partage de la décision. Ces cas nécessitent aujourd’hui la prise en charge dans des centres spécialisés dédiés à ces patientes à haut risque.

Mise à part la chirurgie de prévention de risque en cas d’anomalies génétiques, il existe d’autres situations où la génétique influence le geste chirurgical et désormais la chirurgie des cancers sera de plus en plus impactée par l’oncogénétique.  A titre d’exemple, en cas de cancer de l’endomètre, c’est-à-dire de la partie interne de l’utérus, de stade débutant et survenant avant la ménopause, on peut si la patiente le désire, envisager la conservation des ovaires.

A l’inverse, cette option n’est pas recommandée si la patiente présente une anomalie (dite syndrome de Lynch), car elle a alors plus de risques d’avoir une atteinte ovarienne.

Autre situation : si  la recherche de mutations porte comme nous venons de le voir sur les mutations héritées (germinales), elle peut concerne aussi des mutations nouvelles survenant dans la tumeur (mutations dites somatiques). On sait que des tumeurs porteuses de certaines mutations (il s’agit bien là de la tumeur et non de la patiente) répondront mieux à certains traitements et cela peut impacter la décision de réopérer ou non en cas de récidive.

Signalons ici que le « temps médical » consacré à ces patientes (en dehors des situations d’urgence) est une arme indispensable. En effet si les outils de détection génétique et les traitements sont de plus en plus perfectionnés, les « outils du chirurgien » en consultation pour répondre à l’inquiétude des patientes restent toujours les mêmes : expliquer (et tous les domaines peuvent être concernés incluant génétique, anatomie, nutrition…), écouter et prendre le temps (le plus grand des luxes) pour l’échange et le partage. Ainsi on propose souvent de revoir plusieurs fois les patientes pour reprendre un dialogue enrichi de leurs réflexions (et de celles de leur entourage).

Les médecins et psychologues ne sont bien évidemment pas les seuls interlocuteurs. Les patientes rencontrent les infirmières d’annonce dans un second temps (pour avoir  le temps d’intégrer toutes ces informations) par qui elles se font expliquer de façon très pragmatique les modalités de la chirurgie, « à quoi s’attendre » dans les jours qui suivent et mettre en place tout ce qui pourra aider chaque patiente dans son parcours. Nous nous appuyons de plus en plus sur des associations de patientes afin de relayer l’information, mettre en relation des patientes pour échanger en particulier sur les essais thérapeutiques en cours.

En conclusion, le chirurgien doit tenir compte du contexte génétique et être capable de l’expliciter aux patientes, il en va de même du généticien. Nous devons encore progresser dans la connaissance de chaque cancer pour adapter au mieux nos chirurgies et aussi pour mieux accompagner les femmes devant la multiplication des informations liées à la génétique et qui les touchent souvent sur plusieurs générations.