FOCUS : Les retombées de l’édition génomique en science et en médecine

Le Docteur Carine ELBAZ, PhD (UMS45 CiTHERA) décrypte cette technique très prometteuse par son usage en thérapie cellulaire et en thérapie génique.

FOCUS : Les retombées de l’édition génomique en science et en médecine

Avez-vous déjà entendu parler d’édition génomique, ou « Genome Editing » ? Il s’agit des différentes manipulations génétiques visant à insérer, remplacer ou retirer un fragment de génome d’un organisme. Il y a à peine plus de 10 ans, les laboratoires ne disposaient pour cela que de techniques longues, fastidieuses et onéreuses pour arriver à leurs fins.

Mais en 2012 arriva la « révolution CRISPR » (prononcer « crispeur ») qui valut le prix Nobel de Chimie à ses co-découvreuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna (respectivement microbiologiste française et biochimiste américaine). L’acronyme CRISPR signifie « Clustered Regulatory Interspaced Short Palindromic Repeats » que l’on pourrait traduire en français par « groupe de courtes séquences répétées en palindrome et régulièrement espacées ». Ce système, décrit dès les années 80, a une origine bactérienne : il confère à la bactérie une immunité adaptative lui permettant de lutter contre les bactériophages (des virus s’attaquant aux bactéries) en repérant l’ADN intru, puis en le découpant pour l’éliminer. La grande ingéniosité des Dr. Carpentier et Doudna a été de détourner ce système pour cibler des séquences spécifiques dans d’autres organismes. Le principe en est relativement simple : d’une part fournir à la cellule une molécule capable de couper l’ADN (une sorte de ciseau moléculaire nommé Cas), et d’autre part de lui fournir également un « guide » (nommé ARNg) dont le rôle sera de cibler la région d’ADN d’intérêt et de recruter le ciseau moléculaire.

Ce système, d’une précision redoutable, peut alors être combiné de différentes manières pour éliminer des morceaux entiers d’ADN (délétion de gènes), pouvant être remplacés ou non, selon que l’on présente simultanément à la cellule un fragment d’ADN dit « donneur » pour effectuer la réparation. On peut ainsi aisément supprimer des gènes, mais aussi en ajouter, en remplacer, en corriger, ou encore en moduler l’activité.

Une telle technique permet aujourd’hui une ouverture du champ des possibles avec de très nombreuses retombées, tant en recherche fondamentale que pour l’industrie ou la médecine.

Citons par exemple son usage en thérapie cellulaire appliqué à une maladie sanguine : la Leucémie Aigüe Lymphoblastique (LAL). Cette pathologie consiste en une multiplication anarchique des lymphocytes T (des globules blancs « tueurs » capables d’identifier et d’éliminer les bactéries, virus et même cellules tumorales présentes dans l’organisme). La patiente, une jeune fille de 13 ans diagnostiquée en 2021, se trouvait en échec thérapeutique lorsqu’en dernier recours les médecins lui ont injecté en mai 2022 des lymphocytes T génétiquement modifiés. Provenant d’un donneur sain, des chercheurs ont introduit par CRISPR un CAR-T (Récepteur Antigénique Chimérique de lymphocyte T), c’est-à-dire un gène codant pour une protéine de surface qui permet de cibler les cellules cancéreuses pour les détruire. Le résultat fut exceptionnel : plus aucune cellule cancéreuse détectable au bout de 28 jours seulement !

Cette technique est également très prometteuse en thérapie génique afin de « corriger » des déficiences génétiques héréditaires (de premières études montrent des résultats encourageants pour le traitement de la myopathie de Duchenne), mais aussi dans le traitement du SIDA (Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise). Cette maladie est causée par un virus : le VIH (virus d’immuno- déficience Humaine) dont le génome qui se présente sous forme d’ARN est capable de s’introduire dans certaines cellules cibles (lymphocytes T, monocytes…) et de se servir des capacités de la cellule pour rétro-transcrire son ARN en ADN, puis le répliquer en très grande quantité pour produire de nouvelles particules virales capables d’infecter de nouvelles cellules. Le traitement classique utilisé jusqu’à présent (appelé TAR pour Traitement Anti-Rétroviral) permet de réduire considérablement la charge virale jusqu’à la rendre indétectable dans le sang. Malheureusement, il reste le plus souvent des « réservoirs » (ganglions lymphatiques, cerveau, intestin…) dans lequel le virus se terre et reste difficilement accessible. Mais des chercheurs ont pu montrer que chez la souris, l’utilisation du CRISPR permet de déléter de grands fragments d’ADN viral au sein des cellules infectées. Qu’en serait-il alors d’une combinaison TAR + CRISPR ? Cela a également été testé chez la souris et cela a là aussi montré des résultats très encourageants : 30% des souris infectées ont guéri du VIH ! C’est en partant du même principe qu’a été développé un prototype de médicament contenant les constructions CRISPR nécessaires pour permettre de retirer l’ADN viral des cellules et éradiquer l’infection. Un essai clinique visant à tester l’efficacité (et l’innocuité) de ce traitement chez l’homme a ainsi débuté en 2022 aux Etats Unis (Philadelphie). Les résultats sont attendus avec impatience !

Au travers de ces quelques exemples, on perçoit le potentiel incroyable de cette nouvelle technique dans le domaine biomédical, mais de nombreuses difficultés sont encore présentes. A commencer par le risque d’effet « hors cible » : si la coupure vient à se produire dans une région du génome essentielle et non visée : quelle conséquence pour la/les cellule(s) et l’organisme ? Comment limiter suffisamment ce risque pour le rendre acceptable ? Se pose également la question du mode d’administration. En effet, vaut-il mieux utiliser un vecteur viral non pathogène, ou bien des nanoparticules (type LNPs) ? Passer par voie intra-veineuse ou intra-musculaire ? Aurons-nous un jour des comprimés de CRISPR à avaler ? Beaucoup d’études seront encore nécessaires pour faire les bons choix.

Le CRISPR, c’est aujourd’hui des milliers d’articles publiés et des millions d’euros investis. Son utilisation soulève toutefois de nombreuses questions sur le plan éthique : l’application de cette technologie au génome humain pourrait également être lourde de conséquences si elle n’est pas contrôlée… et la législation actuelle reste floue. Ainsi, deux camps s’affrontent : l’un considérant le patrimoine génétique comme « sacré », fruit de millénaires d’évolution et donc intouchable, et l’autre partisan d’un homme amélioré mentalement et physiquement (transhumanisme), pouvant conduire jusqu’à l’eugénisme. A nous de trouver le juste milieu…

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