Protéger en faisant moins saigner : une avancée majeure contre la thrombose liée au cancer

Par la Professeure Isabelle Mahé, cheffe du service de médecine interne à l’hôpital Louis-Mourier AP-HP, Université Paris Cité, membre de l’équipe de recherche « Endotheliopathy and Hemostasis Disorders » dirigée par le Pr David Smadja au PARCC (Paris Centre de Recherche Cardiovasculaire), Hôpital Européen Georges Pompidou.

Protéger en faisant moins saigner : une avancée majeure contre la thrombose liée au cancer

Les patients atteints de cancer affrontent bien plus que leur tumeur.

Parmi les complications graves qui peuvent surgir au cours de leur parcours, les événements thromboemboliques veineux (MTEV) – c’est-à-dire la formation de caillots sanguins dans les veines profondes (thrombose) ou dans les artères pulmonaires (embolie) – sont particulièrement redoutables.

On estime que ces événements représentent la deuxième cause de décès chez ces patients, juste après le cancer lui-même. Les recommandations actuelles suggèrent de traiter les MTEV chez les patients cancéreux avec des anticoagulants pendant au moins six mois, tant que le cancer est actif.

Or, bien que le risque de récidive baisse après ces six mois, il reste élevé, ce qui justifie une poursuite du traitement tant que le cancer est actif. Mais cette prolongation s’accompagne d’un risque accru d’hémorragie, parfois grave.

C’est cette question délicate qui a guidé notre travail de recherche. L’objectif de notre étude, baptisée API-CAT, était de déterminer s’il était possible de réduire la dose d’anticoagulant après six mois de traitement initial, tout en préservant l’efficacité contre les récidives et en diminuant les risques de saignement.

L’étude API-CAT est le premier essai clinique académique international à explorer cette question. Entre 2018 et 2024, nous avons inclus 1 766 patients dans 136 centres hospitaliers répartis dans 11 pays européens et au Canada. Tous ces patients présentaient un cancer actif (plus de 65 % avaient un cancer métastatique), avaient déjà été traités pendant six mois pour un MTEV, et recevaient encore des traitements anticancéreux au moment de leur inclusion.

Ils ont été répartis aléatoirement dans deux groupes, selon un protocole double aveugle (ni le patient, ni le médecin ne connaissait la dose administrée) :

• Le premier groupe a reçu 2,5 mg d’apixaban deux fois par jour (dose réduite)

• Le second groupe a reçu 5 mg deux fois par jour (dose pleine)

Le traitement s’est poursuivi pendant 12 mois, et chaque événement (récidive thromboembolique, saignement, décès) a été rigoureusement analysé par un comité indépendant.

Etude APICAT - Figure pour journal VAINCRE

Etude APICAT - Figure pour journal VAINCRE

Les résultats, que nous avons publiés dans le New England Journal of Medicine en mars 2025, sont particulièrement éclairants :

• Récidive de MTEV : 2,1 % des patients sous dose réduite contre 2,8 % sous dose pleine. Ce résultat démontre que la dose réduite est aussi efficace pour prévenir les récidives.

• Saignements cliniquement pertinents (ayant nécessité des soins médicaux) : 12,1 % sous dose réduite contre 15,6 % sous dose pleine. Cela représente une réduction du risque de 25 %.

• Décès toutes causes confondues : environ 18 % dans les deux groupes, sans différence significative.

En somme, la dose réduite d’apixaban permet de maintenir un niveau de protection équivalent, tout en réduisant le risque hémorragique. Ces résultats plaident en faveur d’un changement de paradigme dans la prise en charge de la MTEV associés au cancer. Ils devraient entraîner une mise à jour des recommandations internationales, notamment pour les patients qui continuent leur traitement anticoagulant au-delà de six mois. La stratégie proposée par API-CAT — prolongation à dose réduite — offre un compromis optimal entre efficacité et sécurité.

Au-delà de cette étude, nous poursuivons nos travaux de recherche au sein de l’équipe “Endotheliopathy and Hemostasis Disorders” dirigée par le Pr David Smadja à l’hôpital européen Georges Pompidou, sur les mécanismes fondamentaux à l’origine de la thrombose associée au cancer.

Nous explorons également les stratégies innovantes de demain, afin de mieux comprendre, prévenir et traiter ces complications graves. Notre engagement dans la recherche translationnelle – qui relie intimement le laboratoire au lit du patient – est au cœur de notre ADN scientifique, et nous continuerons à œuvrer avec détermination pour offrir des réponses concrètes aux besoins cliniques.

Référence complète de l’étude Mahé, I., Carrier, M., Mayeur, D., et al. (2025). Extended Reduced-Dose Apixaban for Cancer-Associated Venous Thromboembolism. New England Journal of Medicine. DOI : 10.1056/NEJMoa2416112 Accès étude NEJM


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