GENERATION DE « MINI-CANCERS » IN VITRO : TECHNOLOGIES D’ORGANOIDES POUR MODELISER LES CANCERS

par le Docteur J. HWANG - INSERM U1310-Villejuif - Modèles de Cellules Souches Malignes et Thérapeutiques : Applications Thérapeutiques (sous la direction du Pr A. Turhan)

Au sein de l’Unité Inserm U1310 dirigée par le Professeur A Turhan, le Docteur Jinwook Hwang, chercheur à l’Université Paris Saclay et CITHERA (Dirigée par le Pr A. Bennaceur Griscelli) a développé une expertise majeure dans le domaine des organoïdes générés à partir des cellules souches pluripotentes (IPSC) qui sont des cellules souches q produites à partir des cellules adultes par reprogrammation cellulaire par transfert de gènes de « pluripotence ». Après programmation, ces cellules acquièrent les caractéristiques embryonnaires et peuvent être cultivées de manière permanentes à l’état indifférencié. Ces cellules « immortelles » peuvent ensuite être utilisées pour générer des cellules différenciées comme des cellules cardiaques, pulmonaires, neurales, pancréatiques etc.. ouvrant des perspectives majeures de thérapie cellulaire dans tous les domaines de la Médecine. Dans le domaine du cancer, elles permettent de générer des cellules immunitaires pour combattre le cancer mais peuvent aussi être utilisées pour des applications de modélisation : Ainsi, une lignée iPSC avec une mutation oncogénique peut être redifférenciée vers un organe donné pour générer une mini-organe qu’on désigne sous le terme « organoïde», permettant de modéliser les cancers du poumon du rein, du cerveau.. Ici nous résumons la modélisation de certains cancers du poumon avec une mutation oncogénique spécifique : Oncogène RET.

GENERATION DE « MINI-CANCERS » IN VITRO : TECHNOLOGIES D’ORGANOIDES POUR MODELISER LES CANCERS

Qu’est-ce qu’un organoïde ?

Les organoïdes sont un assemblage tridimensionnel de cellules, mimant des caractéristiques d'organes, générés in vitro en présence des signaux (facteurs de croissance) spécifiques. Leur capacité à s'auto-organiser in vitro dans des conditions définies permet leur développement pendant plusieurs jours ou semaines, selon les conditions de culture. Ils ont été décrits initialement en utilisant des biopsies de tissus normaux ou pathologiques. Il existe désormais des données exhaustives montrant que ces structures peuvent récapituler certaines des caractéristiques observées dans les organes adultes, ouvrant ainsi des perspectives majeures pour leur utilisation dans la modélisation des maladies. Actuellement, des structures de type organoïde ont été générées avec succès à partir de plusieurs tissus humains obtenus par une biopsie. Les organoïdes développés à partir des tissus adultes, nécessitent donc une biopsie et ont également une durée de vie limitée de quelques semaines au maximum. Pour confirmer un résultat obtenu, il est donc nécessaire de refaire une biopsie, ce qui n’est pas idéal ni pratique. Notre laboratoire a pris une approche différente pour contourner ces obstacles, en utilisant la technologie des cellules souches pluripotentes induites (iPSC) pour fabriquer différents organoïdes.

Organoïdes de cancers dérivés des cellules souches pluripotentes

Les organoïdes générés par utilisation des iPSC présentent un intérêt majeur en oncologie expérimentale car une lignée d’IPSC ayant une mutation oncogénique ayant une implication dans la pathogénie d’un cancer, peut permettre de réaliser la différenciation vers le tissu en question (rein, poumon, cerveau..) et étudier les effets de cette mutation une fois l’organoïde obtenu. La technologie iPSC offre également la possibilité de générer des organoïdes après induction de modifications génomiques spécifiques en utilisant la manipulation moléculaire des iPSCs. Une mutation oncogénique qui peut être induite à l'état pluripotent peut ensuite être propagée avec la génération d'un "organoïde transformé" dont on peut analyser les caractéristiques par rapport à celles des cellules tumorales primaires. Dans notre groupe, nous avons généré des iPSC porteuses d’une mutation c-MET à partir d'un patient atteint de carcinome rénal. Nous avons montré que les organoïdes rénaux générés in vitro récapitulent les caractéristiques transcriptomiques du cancer du rein primaire d'une large cohorte de patients. Les gènes cibles que nous avons identifiés ont également été confirmés dans les biopsies rénales de patients atteints de cancer du rein ( 1 ). Cette lignée d’IPSC exprimant la mutation c-MET a pu aussi être utilisée pour modéliser le glioblastome, une tumeur dans laquelle une surexpression de c-MET a été décrite dans 10 % des cas. Nous avons montré que les organoïdes dérivées de ces iPSC présentent des caractéristiques transcriptomiques proches de celles observées dans le glioblastome humain ( 2 ). (Figure 1)

Modélisation des cancers du poumon par la génération d’organoïdes pulmonaires

Le cancer du poumon est le deuxième cancer le plus répandu chez l’homme (34000 cas / an en France en 2023) et le troisième cancer le plus fréquent chez la femme (20000 cas / an en France en 2023). Le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) représente environ 85 % de ces cas, l'adénocarcinome étant le sous-type le plus courant parmi tous les cancers du poumon, représentant 40 % des cas. La classification des adénocarcinomes pulmonaires en sous-types moléculaires est déterminée par des altérations moléculaires spécifiques qui contribuent à l'initiation et à la progression du cancer. Plusieurs de ces gènes qu’on appelle « drivers » oncogéniques, sont des récepteurs tyrosine kinases (RTK) qui régulent les voies de signalisation intracellulaire.

L'un de ces récepteurs, RET a été largement étudié dans les CPNPC. Des études récentes ont révélé la présence de réarrangements de RET dans 1 à 2 % des cas d'adénocarcinomes pulmonaires. Les patients atteints de CPNPC avec une anomalie du gène RET (fusions) sont principalement des patients jeunes et non-fumeurs. Les fusions RET conduisent à l'activation des voies de signalisation en aval, telles que STAT3 et RAS-MAPK, impliquées dans la prolifération et la survie cellulaires, favorisant ainsi la croissance tumorale. Les travaux de recherche ont indiqué que la signalisation RET jouaient un rôle significatif dans la résistance aux médicaments, y compris la résistance aux inhibiteurs de la tyrosine kinase de l'EGFR (ITK de l'EGFR) et aux inhibiteurs émergents de KRASG12C dans le CPNPC. Enfin, les patients avec un réarrangement RET présentent généralement de faibles niveaux d'expression de PD-L1 et une faible charge mutationnelle tumorale, et ils ont tendance à avoir des résultats défavorables lorsqu'ils sont traités par les immunothérapies. Ces données montrent que les réarrangements RET définissent un sous-type moléculaire et clinicopathologique distinct du CPNPC. Par conséquent, le développement d'un modèle de cancer du poumon avec réarrangement RET serait très précieux pour étudier les caractéristiques uniques de cette maladie et identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Plusieurs modèles de cancer du poumon avec réarrangement RET ont été développés au cours des années précédentes. Ces modèles sont basés sur des lignées de cellules cancéreuses, des modèles de souris génétiquement modifiées exprimant la protéine de fusion KIF5B-RET ou des cellules d'adénocarcinome pulmonaire greffées chez les souris immunodéficientes. Jusqu’à une date récente, aucun modèle de cancer du poumon basé sur des iPSCs dérivées de patients n'était disponible. La génération d'iPSCs établies à partir des tumeurs de patients atteints de CPNPC portant des mutations oncogéniques spécifiques, tels que des réarrangements RET, présente des défis significatifs. En effet, la plupart des protocoles de reprogrammation pour générer des IPSC sont optimisés pour les cellules facilement disponibles (comme un prélèvement de sang) avec un taux de prolifération élevé et une accessibilité à la chromatine. Les cibles idéales sont telles que les cellules mononucléées du sang périphérique, les cellules souches mésenchymateuses, les fibroblastes, etc.. De plus, la faible efficacité de la reprogrammation, couplée à la forte variabilité génotypique au sein des tumeurs qui expriment parfois des gènes rendant la programmation impossible, complique encore davantage la génération d'iPSCs directement à partir des tumeurs. Il n'existe actuellement aucune lignée d’iPSC dérivée de tumeurs de patients CPNPC et donc aucun modèle de cancer du poumon basé sur des iPSCs. Pour relever ce défi, nous avons exploré la possibilité de générer des organoïdes pulmonaires récapitulant les caractéristiques du CPNPC à partir d'une lignée iPSC dérivée des cellules du sang d’un patient portant la mutation RET de manière héréditaire. La mutation RETC634Y est couramment associée au carcinome médullaire de la thyroïde et entraîne la dimérisation de RET en l'absence de ses ligands, conduisant à l'autophosphorylation de ses domaines tyrosine kinase. L'activation constitutive de la voie RET est équivalente aux conséquences des réarrangements RET observés dans le CPNPC. En utilisant un protocole de 16 jours, nous avons réussi à générer des organoïdes pulmonaires à partir d'iPSCs portant la mutation RETC634Y et de la lignée d’IPSC témoin isogénique corrigée par CRISPR ( 3 ). Notamment, les organoïdes dérivés d'iIPSC exprimant la mutation RETC634Y présentent une surexpression de marqueurs associés au cancer par rapport aux organoïdes témoins. En effet, l'analyse transcriptomique a montré une signature moléculaire qui pourrait potentiellement être liée à un mauvais pronostic, notamment l’expression augmentée de PROM2et C1QTNF6. La surexpression de ces deux gènes, eC1QTNF6 et PROM2, retrouvée également dans les organoïdes avec mutation RET, est également retrouvée dans les cellules tumorales de patients atteints de CPNPC ( 3 ). Les réarrangements RET sont considérés comme des cibles thérapeutiques, notamment par des médicaments de précision tels que le Pralsetinib. Nous avons montré que le traitement des organoïdes portant la mutation RETC634Y par Pralsetinib inhibait l’expression de ces deux gènes ( 3 ). Ces découvertes suggèrent que l’expression de ces marqueurs est régulée par la voie RET. Actuellement il n’y a pas de modèles précliniques pour tester de manière reproductible, l'efficacité des inhibiteurs de RET dans les modèles précliniques de cancer du poumon. L'efficacité du Pralsetinib et d'autres inhibiteurs spécifiques de RET tels que le Cabozantinib ou le Selpercatinib, a été testée seulement sur quelques lignées cellulaires de cancer du poumon. L’utilisation de ces inhibiteurs est également associée au développement de résistances. Comprendre les mécanismes de résistance est essentiel pour développer des stratégies visant à la surmonter et à prolonger l'efficacité du traitement. Notre modèle de CPNPC activé par RET dérivé d'iPSCs de patients offre la possibilité de générer des clones d'iPSCs résistants au traitement par Pralsetinib ou Selpercatinib. Ces clones résistants peuvent ensuite être utilisés pour étudier les mécanismes sous-jacents de la résistance ou identifier de nouveaux médicaments capables de surmonter efficacement cette résistance. Notre modèle a montré une corrélation entre l'expression de gènes tels que C1QTNF6 et PROM2 identifiés comme étant surexprimés dans les organoïdes avec le transcriptome des tumeurs primaires des patients et la survie ( 3 ). Dans l'ensemble, ces résultats suggèrent que la seule présence de la mutation RETC634Y est suffisante pour induire un phénotype ressemblant à celui du CPNPC dans les organoïdes pulmonaires générés à partir d'iPSCs. Cette étude établit le premier modèle d’organoïdes de cancer du poumon, générées à partir d'iPSCs dérivées de patients. La technologie des organoïdes de cancer dérivés d'iPSC devrait se développer dans le futur, avec plusieurs modèles mis au point pour d'autres cancers et une implication croissante de la technologie microfluidique pour étudier la sensibilité aux médicaments. L’utilisation des iPSC porteuses de mutations oncogéniques, permettra ainsi de générer à la demande, sans recourir à des biopsies, des modèles de « cancer dans une boite de culture ». Ces technologies bénéficieront des analyses moléculaires et des techniques d’IA avec la découverte de nouvelles cibles conduisant à des interventions thérapeutiques.

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REFERENCES

  1. Hwang JW, Desterke C, Féraud O, Richard S, Ferlicot S, Verkarre V, Patard JJ,Loisel-Duwattez J, Foudi A, Griscelli F, Bennaceur-Griscelli A, Turhan AG. iPSC-Derived Embryoid Bodies as Models of c-Met-Mutated Hereditary Papillary Renal Cell Carcinoma. Int J Mol Sci. 2019 Sep 30;20(19):4867.
  2. Hwang JW, Loisel-Duwattez J, Desterke C, Latsis T, Pagliaro S, Griscelli F, Bennaceur-Griscelli A, Turhan AG. A novel neuronal organoid model mimicking glioblastoma (GBM) features from induced pluripotent stem cells (iPSC). Biochim Biophys Acta Gen Subj. 2020 Apr;1864(4):129540.
  3. Marcoux P, Hwang JW, Desterke C, Imeri J, Bennaceur-Griscelli A, Turhan AG. Modeling RET-Rearranged Non-Small Cell Lung Cancer (NSCLC): Generation of Lung Progenitor Cells (LPCs) from Patient-Derived Induced Pluripotent Stem Cells (iPSCs). Cells. 2023 Dec 15;12(24):2847. doi: 10.3390/cells12242847. PMID:38132167.