Le mélanome : en 10 ans, une révolution thérapeutique

Par le Professeur Celeste Lebbé, Professeur de Dermatologie Université de Paris, Responsable du Centre d’Oncodermatologie Hopital Saint Louis APHP, Membre de l’Unité INSERM UMR-S976, Human Immunology, Pathophysiology and TherapiesTeam 1 : Oncodermatology and therapies

Le mélanome : en 10 ans, une révolution thérapeutique

Quelques données épidemiologiques

Le mélanome cutané est une tumeur maligne des mélanocytes, cellules responsables de la couleur de la peau. Il représente 4% de l’ensemble des cancers et 10% des cancers cutanés. Avec plus de 15000 nouveaux cas par an en France, il arrive au 8ème rang des cancers chez l’homme et au 6ème rang chez la femme. L’âge médian de survenue est de 60 ans et 67 ans chez l’homme et la femme respectivement. Environ 25% des patients ont moins de 40 ans. Son incidence reste croissante, multipliée par 5 en 10 ans même si l’on note un petit ralentissement depuis 2005. Aux stades précoces (formes localisées et peu invasives) le mélanome est de bon pronostic, avec un taux de survie de 81-98% à 5 ans et de 70-95% à 10ans. Le mélanome reste néanmoins redoutable aux stades plus tardifs et représente 90% des cas de décès par cancer cutané.

Les Ultraviolets et notamment les expositions solaires intenses intermittentes dans l’enfance sont connus pour augmenter le risque de mélanome mais les facteurs de risques les plus importants font partie inhérente de l’individu : phototype clair, grand nombre de grains de beauté, antécédents personnels et/ou familiaux de mélanome
Le dépistage systématique de la population générale, n’est pas recommandé car inefficace; par contre, l’identification des sujets à risque et leur surveillance spécialisée ont prouvé leur efficacité . De nouveaux outils d’imagerie (vidéomicroscopie, microscopie confocale…) sont maintenant utilisés par les dermatologues pour améliorer la performance de la surveillance dans ces populations à risque . D’autre part, les technologies d’intelligence articielle sont en cours de développement en oncodermatologie ,avec des résultats assez performants.

Ces outils, associés à la téléexpertise et la télédermatologie feront à l’avenir partie intégrante de la prise en charge des patients, dans un contexte démographique médical difficile concernant la communauté des dermatologues. Le pronostic du mélanome cutané est bon dans la majorité des cas. Il s’agit alors de mélanomes dont l’analyse au microscope montre qu’ils sont peu épais. Ces patients seront traités par la chirurgie et surveillés par leur dermatologue de ville et leur médecin généraliste.

Malheureusement environ 20% des mélanomes cutanés primitifs vont développer des métastases. Ces rechutes s’observent plus volontiers à partir de mélanome « épais » pour lesquels on propose généralement, lors de la reprise chirurgicale initiale, un repérage du ganglion de drainage de la tumeur, dit « ganglion sentinelle ». Ces mélanomes doivent être surveillés plus étroitement et des traitements préventifs des rechutes donnés après la chirurgie ( « traitements adjuvants ») sont depuis peu disponibles .

En 10 ans, une révolution thérapeutique

La mise au point d’immunothérapies et thérapies ciblées efficaces ont bouleversé la prise en charge des patients atteints de mélanome au stade métastatique en l’espace d’un peu plus de de 10 ans . La recherche d’une mutation du gène d’une enzyme appelée « BRAF », présente dans 40 à 50% des mélanomes, est capitale car elle confère au mélanome une sensibilité à des thérapies ciblées combinant un inhibiteur de BRAF et celui d’une autre enzyme , MEK. Trois « couples » de thérapies ciblées anti BRAF MEK sont disponibles en France : l’association Vémurafenib Cobimetinib, l’association Dabrafanib et tramétinib et l’association Encorafenib+binimetinib. Avec ces thérapies ciblées, l’effet est extrêmement rapide et important. Si plus des 3 quart des patients sous thérapies ciblées ont développé des résistances au bout de 3 ans et nécessitent le recours à d’autres traitements, certains patients maintiennent des réponses extrêmement prolongées avec une tolérance très acceptable. A côté des thérapies ciblées, les immunothérapies visent non pas à cibler directement la cellule tumorale, mais à éduquer le système immunitaire du patient à combattre son cancer. On bloque, à l’aide d’anticorps, des molécules situées à la surface des lymphocytes T, les sentinelles de notre système immunitaire. Ce blocage avec des anticorps anti CTLA-4 (ipilimumab) ou anti PD-1 (nivolumab, pembrolizumab et d’autres à venir) revient à maintenir les lymphocytes en état d’activation. Les anti PD1 le plus souvent associés à un anti CTLA-4 sont désormais un standard thérapeutique dans la prise en charge mélanome métastatique, que le mélanome soit ou non muté BRAF. Le taux de réponse initial est un peu moins spectaculaire que celui obtenu avec les thérapies ciblées mais l’effet se maintient plus durablement. Si la vie des malades souffrant de mélanome métastatique a été bouleversée par ces innovations thérapeutiques, tous les malades ne répondent pas et beaucoup rechutent après une réponse initiale. La recherche pour dépister et valider de nouvelles cibles est très active. Des essais cliniques avec de nouvelles molécules prometteuses sont en cours. Soulignons l’implication des équipes françaises d’oncodermatologie .

Les thérapies ciblées mais aussi anti PD1 cités plus haut ont plus récemment obtenu l’autorisation dans le traitement préventif dit « adjuvant » des rechutes, chez les patients avec atteinte ganglionnaire. Ces traitements réduisent le risque de rechute d’environ 50%.

Ces nouveaux traitements peuvent être responsables de toxicités. Les thérapies ciblées ont des effets secondaires, pour la plupart peu graves et passagers. Les anti PD1 sont remarquablement tolérés. Néanmoins si l’on sait manipuler efficacement le système immunitaire contre les cellules tumorales, l’immunothérapie peut, au passage « armer » les lymphocytes contre des cellules normales du patient et engendrer des effets secondaires en règle passagers et gérables. Les effets secondaires endocriniens sont plus durables mais généralement faciles à compenser. Les toxicités cardiaques et neurologiques sont très rares. Ces effets secondaires dits « immunomediés » sont plus importants lorsque l’on associe les anti PD1 et les anti CTLA4. Beaucoup de centres, tels le groupe PATIO (Partage et Analyse des Toxicités en Immuno-Oncologie) APHP GHU Nord organisent des réunions interdisciplinaires pour améliorer la gestion de ces toxicités.`

Ces avancées thérapeutiques donnent une nouvelle dimension à la relation médecin—patient nécessitant le partage d’information et une concertation dans la prise des risques. Elles représentent un solide espoir de diminuer la mortalité par mélanome. Elles soulignent l’importance de la recherche fondamentale et clinique au service de patients dûment informés.