Vaincre le COVID sans cesser de combattre le cancer

L'édito du Professeur SERGE UZAN, Président du Conseil d’Orientation Stratégique de l’Institut Universitaire de Cancérologie AP-HP Sorbonne Université

Vaincre le COVID sans cesser de combattre le cancer

L’irruption brutale du COVID-19, particulièrement inquiétante pour l’ensemble de la population mondiale, a parfois donné l’impression que les autres maladies passaient au second plan.

D’emblée, les cancérologues ont insisté sur le danger d’une telle conception ; non seulement, parce que  la mortalité du COVID-19 est inférieure à celle de nombreux cancers, mais aussi et surtout, parce qu’elle risquait de réduire une partie des progrès réalisés en cancérologie. D’emblée, il a été dit que la prise en charge des patients atteints de cancer faisait partie des situations prioritaires. Et fort heureusement, dans la très grande majorité des situations, ce fut le cas. Si certains traitements ont été repoussés, ils l’ont toujours été après une discussion collégiale, multidisciplinaire, permettant de faire une balance bénéfice/risque sans négliger la lutte urgente contre le COVID.

Pour utiliser le langage sportif, on a eu l’impression que la prise en charge du COVID ressemblait à un sprint, alors que celle du cancer ressemblait plus à une course de fond. Nous aurons au moins appris qu’une course de fond ne doit pas exclure un rythme soutenu (!) maintenu grâce à une volonté de faciliter l’innovation et une volonté de mettre en oeuvre des moyens importants pour aider les équipes qui s’impliquent chaque jour dans la recherche et le traitement du cancer. Un autre enseignement tiré de cet épisode de COVID, est celui du confinement et de la sensation d’isolement.

Cette sensation que nous venons tous de vivre, est celle de nombreux patients atteints de cancer, sans pour autant avoir l’espoir d’un déconfinement à court terme.

C’est pourquoi, tout ce qui a été fait dans le cadre de la solidarité, de la bienveillance, de l’empathie, doit être étendu à l’ensemble des pathologies chroniques et fort heureusement, le cancer est de moins en moins une maladie aiguë ou chronique pour évoluer vers une situation de guérison complète. Cet épisode de COVID nous aura aussi permis de tirer d’autres enseignements dans la pratique au quotidien, pour ne pas négliger les soins de support qui sont essentiels.

Finalement, toutes les maladies ont cela en commun, que la lutte doit passer par une organisation sans faille, une agilité créatrice, sans pour autant perdre en rigueur scientifique et efficacité. Les traitements doivent faire l’objet d’études particulièrement bien menées, de façon à aboutir à des résultats réellement utilisables dans l’intérêt de tous.

Nous avons appris dans cet épisode l’importance d’une démarche volontariste, parfois anti-bureaucratique, sans pour autant s’affranchir des bonnes pratiques ; simplement, nous aurons appris à supprimer les temps de réflexion et de stratégie inutiles.

Nous avons découvert l’intérêt de la téléconsultation, mais nous en avons immédiatement vu les limites. Elle ne peut qu’exceptionnellement constituer un premier contact qui repose sur l’indispensable relation de conscience face à une confiance. Aucun traitement, et c’est particulièrement le cas pour celui du cancer, ne peut reposer sur autre chose qu’un lien d’humanité avec celui qui vous traite ou plus exactement une équipe qui prend soin de vous. Cette notion d’équipe qui a débouché sur les équipes d’accompagnement de la prise en charge du déconfinement, nous la pratiquons  depuis longtemps dans le cancer.

Depuis longtemps, nous essayons de « déconfiner » d’emblée les patients par exemple en pensant à l’avenir ; c’est le cas lorsque l’on voit une jeune femme qui vient consulter pour un cancer du sein, et que l’on évoque  d’emblée un futur projet de grossesse. Tous les patients ont besoin d’un horizon clair pour accepter les difficultés de l’immédiateté du traitement.

Enfin, de nombreux pans de la recherche contre le cancer ont été utilisés dans la recherche contre le COVID et la réciproque sera vraie. Lorsqu’on analyse  les publications des équipes les plus « pointues » en matière de lutte contre le COVID, on y trouve fréquemment des équipes impliquées dans la lutte contre le cancer ; ce qui veut dire que la lutte contre la maladie répond à des standards et à des critères communs qu’il nous faut cultiver.

Est paru récemment un article dans la prestigieuse revue « Nature » qui associait plus d’une centaine de médecins, de physiciens, de mathématiciens, de statisticiens, de biologistes fondamentaux, etc… Il avait eu pour objectif  en un temps record, d’identifier les sites d’action du COVID au niveau de près de 300 mécanismes de synthèse des protéines. L’identification de ces sites a permis d’élaborer à postériori des stratégies de traitements, voire des stratégies d’utilisation de séquences de traitements qui étaient à priori prescrits dans des pathologies totalement différentes. C’est que l’on appelle la « réaffectation des traitements » qui a sa place en cancerologie..

C’est probablement un avenir majeur dans lequel les capacités de calculs, l’intelligence artificielle et les moyens nécessaires seront essentiels, mais rien ne remplacera ce qui fait notre force face aux machines, c’est-à-dire l’intelligence émotionnelle et la solidarité qui relient les hommes, qu’ils soient malades ou non. C’est toute la noblesse de l’objectif que soutient toujours Vaincre le Cancer.

Professeur Serge Uzan Président du Conseil d’Orientation Stratégique de l’Institut Universitaire de Cancérologie APHP Sorbonne Université