COVID-19 : quels impacts sur le cancer ?

Le Professeur Franck GRISCELLI, Membre du Conseil Scientifique de Vaincre le Cancer, Unité INSERM U935 - Hôpital Paul Brousse répond à vos questions.

COVID-19 : quels impacts sur le cancer ?

Il semble qu’avec le Coronavirus beaucoup de patients subissent des retards de traitement, Comment expliquez-vous cela ?

Effectivement à cause du coronavirus, les malades atteints du cancer ont subi d’importants retards de traitements par chimiothérapies et radiothérapies ainsi que des reports d’opérations avec la fermeture de nombreux blocs opératoires.
Ce constat est du à plusieurs explications : Le  coronavirus a fait peur aux malades qui ont été dissuadés de se faire dépister et de consulter. De nombreux hôpitaux et centres d’oncologie ont par ailleurs déprogrammé de nombreux malades compte tenu que le cancer est un facteur supplémentaire de risque face au COVID-19. Ces malades ont préféré rester très prudemment confinés pour se protéger.

Certaines études en cours semblent mettre en avant que l’immunothérapie, qui est le traitement de première ligne puisse avoir un effet protecteur. Quel est votre opinion ?

Nous n’avons pas actuellement de données scientifiques montrant que l’immunothérapie puisse avoir un effet protecteur du COVID-19. Par ailleurs, face au COVID-19, les hôpitaux ont réorganisé les traitements de cancers pour minimiser le risque d’infection. Ainsi, certaines immunothérapies ont été ajournées. La continuité ou l’interruption momentanée du traitement par immunothérapie a été décidée au cas par cas, en mettant face à face le bénéfice apporté par l’immunothérapie et le risque d’exposer le patient à une contamination virale à l’hôpital.

Cela peut-il entrainer des dommages collatéraux sur ces malades ? Dans quelle mesure le COVID-19 est un facteur aggravant pour le cancer ?

Ces comportements ont eu des impacts sans précédent sur la prise en charge des patients : Il a été constaté :

  • Un retard pour faire un diagnostic ; Ce retard pourrait affecter les chances de survie. Durant ces deux mois, le nombre de cancers diagnostiqués a été divisé par deux. Avec près de 400 000 nouveaux cas de cancers par an en France, quelque 30 000 malades n’auront ainsi pas été diagnostiqués à cause du COVID-19.

  • Un impact sur la survie ; Une étude anglaise a montré que trois mois de retard de prise en charge pour les patients aboutiraient à un peu plus de 5000 décès supplémentaires. Six mois de retard, à 10.555 morts qui auraient pu être évités. Cette étude montre que la survie à six mois pourrait être diminuée de 30% par un manque de la prise en charge chirurgicale pour certains cancers agressifs en stade 2 (vessie, poumon, estomac, par exemple). La survie à trois mois serait, elle, réduite de 17%.  

  • Un risque accru que la maladie devienne métastatique ; Il a été montré que pour certains cancers, de bons pronostics – notamment des cancers du sein ER + HER2 de stade 1, reporter l’intervention de trois mois ferait perdre moins de 1% de chance de survie à 5 ans.  
  • Un retard du dépistage colorectal ; Avec le confinement et la peur du coronavirus, toutes préventions par coloscopie ont été suspendues pour le diagnostic du cancer du côlon, bien que ce cancer tue 17 500 Français chaque année. Les endoscopies ont été réservées uniquement aux cas urgents, comme des hémorragies digestives. Par ailleurs très peu de patients se sont manifestés par peur de contracter le virus à l'hôpital pour une coloscopie de contrôle ou pour un diagnostic de cancer colorectal systématique ou avec une prédisposition génétique.

Existe-t-il une inter action entre les cancer et le covid ?

Les patients atteints de cancer sont des populations plus vulnérables que d’autres aux infections car elles sont immunodéprimées en raison de la maladie ou des traitements. A ce jour que très peu d’étude ont montré une interaction entre les cancers et le COVID.

Une étude récente sur une petite cohorte a rapporté un risque plus élevé d'événements graves chez les patients atteints de cancer par rapport aux patients sans cancer. Dans cette étude publiée dans Cancer Discovery, les auteurs évaluent les effets de Sars-CoV-2 pour différents types et stades de cancer, ainsi que pour différents types de traitements contre le cancer. L'étude multicentrique, impliquait 14 hôpitaux sur une cohorte de 105 patients atteints du cancer et 536 patients du même âge sans cancer- et tous COVID-19 positifs. Les auteurs ont constaté que les patients atteints d’un cancer qui ont développé COVID-19 avaient un taux de mortalité par le virus près de trois fois plus élevé que celui estimé pour la population générale. Les patients atteints de cancer étaient également plus susceptibles de faire des complications nécessitant l'admission dans des unités de soins intensifs et ayant besoin d'une ventilation mécanique, que les personnes sans cancer. Les facteurs de risques incluaient non seulement l'âge, mais aussi le type de cancer, le stade et le traitement. Cette étude pose une question importante et conclut de façon non surprenante à une plus grande vulnérabilité des patients cancéreux vis-à-vis de l’infection par COVID-19 et de ses complications en comparaison aux patients indemnes de cancers.

Les patients cancéreux mais également la population générale ayant contractée le COVID-19 ont un risque accru à développer une fibrose pulmonaire avec une diminution de la fonction pulmonaire observées après un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Ces patients développeront des atteintes pulmonaires qui ressemblent fortement à la fibrose pulmonaire idiopathique (IPF), une maladie pulmonaire caractérisée par une inflammation pulmonaire de bas grade et une fibrose progressive. Bien que nous ne puissions pas extrapoler avec certitude que la fibrose pulmonaire COVID-19 et les maladies IPF sont identiques, il est inquiétant que la majorité des patients IPF succombent à une insuffisance respiratoire dans les 2-3 ans. Les thérapies approuvées pour l'IPF sont la pirfénidone et le nintédanib, qui retardent la progression de la maladie chez seulement ~ 15% des patients. En supposant un taux de mortalité similaire à l'IPF, il est possible que le décès et l'invalidité dus à une maladie pulmonaire chronique liée à COVID-19 soient importants.