Cancer & COVID-19 : les premières questions

Monsieur Michel OKS, Président de Vaincre le Cancer tient, au nom de l’Association, à apporter son soutien inconditionnel au corps médical qui se dépasse pour faire face aux dégâts engendrés par le Coronavirus

Cancer & COVID-19 : les premières questions

Dans l'inquiétude actuelle de la propagation de pneumopathies à Covid-19, les personnes en traitement pour cancers peuvent subir une double peine, celle de leur maladie et celles des risques accrus liés à l'infection virale.

Toute la recherche se mobilise pour soigner et informer les malades du comportement à adopter pendant cette période tristement sans précédent.

Pour répondre au mieux aux principales questions que les patients ou leurs familles peuvent se poser, nous avons interrogé le Professeur Ali TURHAN, chef du Service d’Hématologie Bicêtre - Paul Brousse et Directeur de Recherche à l’Unité Inserm U935, « Modèles de Cellules Souches Malignes et Thérapeutiques ».

Nous vous transcrivons ci-dessous ses réponses qui pourront vous aider.



  • A t’on plus de risques d’être infecté(e) par le coronavirus en étant sous traitement anticancéreux ?

Pr TURHAN : Globalement si vous êtes sous traitement lourd (par exemple greffe de moelle) avec une baisse importante de vos défenses immunitaires (notamment baisse des globules blancs) vous pouvez être plus à risque. Mais si votre traitement n’entraine pas de cytopénies (baisse des globules blancs), vous n’avez pas plus de risques d’être contaminés mais cela n’empêche pas de respecter les consignes: laver les mains, distance sociale, surtout RESTEZ CHEZ VOUS.

  • Pourquoi les patients atteints d'un cancer et sous traitement font-ils partie des personnes "considérées à risque de développer une forme grave d’infection à SARS-CoV-2" ?

Pr TURHAN : Les patients sous traitement ont des défenses immunitaires réduites surtout s’ils ont reçu une chimiothérapie qui entraine des cytopénies, en particulier une diminution de leurs globules blancs. On sait part ailleurs par des travaux très récents des équipes chinoises que l’infection par le COVID-19V entraine une diminution majeure des taux de lymphocytes, qui sont des cellules assurant la fabrication des anticorps et l’élimination directe des virus. Dans ces conditions, une baisse supplémentaire des défenses immunitaires liée aux thérapies anticancéreuses, augmenterait bien sûr le risque de développement d’une forme grave de cette infection. Cela explique la nécessité d’une prise en charge spécifique des patients en cours de traitement pour un cancer et atteinte de COVID-19, de manière à adapter leurs traitements en cours et planifier leurs traitements à venir.

  • Cela est-il aussi le cas des malades d'un cancer qui ne sont pas sous traitement ?

Pr TURHAN : Les patients qui ont eu un traitement notamment par une chimiothérapie classique, peuvent présenter une certaine fragilité nécessitant une vigilance mais si le traitement est à une distance importante de l’épidémie actuelle, ils ne sont pas plus à risque que la population générale. Il faut bien entendu qu’ils respectent les mêmes règles d‘hygiène que la population générale.

  • Existe-t-il des chiffres qui illustrent ces risques ?

Pr TURHAN : Il est trop tôt pour chiffrer ces risques car le recul est faible ; mais les patients atteints de cancer du poumon, ont un risque probablement plus élevé, soit en raison d’une atteinte des poumons par leur cancer ou les traitements qu’ils ont reçus (radiothérapie par exemple). Il existe une étude très récente d’une équipe chinoise publiée dans Annals of Oncology qui a montré dans une petite série de patients atteints de cancers de plusieurs types, que l’infection par COVID-19 était plus fréquente et plus sévère chez les patients atteints de cancer du poumon. Ils montrent également que le risque de complication grave par COVID-19 était plus implorant si la dernière chimiothérapie datait de moins de 14 jours. (Zhang L et al. Clinical characteristics of COVID-19-infected cancer patients: A retrospective case study in three hospitals within Wuhan, China, Annals of Oncology (2020), doi: https://doi.org/10.1016/j.annonc.2020.03.296. )

  • Les patients atteints du cancer sont ils plus susceptibles d’avoir des complications ?

Pr TURHAN : Non, sauf dans certains cancers, peut être avec envahissement pulmonaires cela serait une possibilité

  • Les personnes atteintes d'un cancer doivent-elles prendre des précautions particulières pour se protéger du Covid-19 ? Lesquelles ?

Pr TURHAN : Il faut bien entendu respecter les gestes barrières habituels. Il est recommandé de porter de masques lors des déplacements. Pour limiter les déplacements en milieu hospitalier, nous réalisons actuellement des téléconsultations qui permettent de suivre les patients et les traitements à domicile. Les vaccins doivent continuer à être réalises notamment contre le pneumocoque.

  • Est-il possible de continuer à suivre son traitement (ou essai clinique) pendant le confinement ? Les hôpitaux ont-ils mis en place des dispositifs de suivi particuliers ?

Pr TURHAN : Il existe des situations où le traitement peut-être administré à dose réduite où retardée s’il s’agit par exemple, d’un traitement dit d’entretien, réalisé tous, les mois ou tous les 2 mois. Dans ce cas, votre médecin vous indiquera la suppression d’une séquence mensuelle particulière. En ce qui concerne les traitements utilisant des thérapies ciblées, qui en principe n’entrainent pas de cytopénies, ceux-ci sont poursuivis à doses habituelle sans interruption. Par exemple en Hématologie des thérapies comme Imatinib, Dasatinib, Jakavi.. sont poursuivies tout en réalisant la surveillance habituelle.

Pour certains types de cancers qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire (notamment par chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, les cas sont discutés et selon les séquences de thérapies. Par exemple, si une radiothérapie est initié avant la découverte d’une infection COVID-19, celle-ci est très probablement poursuivie mais on n’initie pas une radiothérapie avant la fin de la période infectieuse. De même, certaines séquences de chimiothérapies cytopéniantes et nécessaires pour le traitement d’un cancer peuvent être poursuivies avec administration de facteurs de croissance pour stimuler la production de globules blancs. Pour la participation aux essais cliniques, les décisions sont prises cas par cas. Enfin, les thérapies lourdes notamment en Hématologie, comprenant les greffes de moelle ou l’utilisation des thérapies par lymphocytes « armés » CAR-T, doivent bien entendu être retardées. Cependant le traitement de certaines affections aigues comme celui des leucémies aiguës, ne peut bien entendu pas être retardé. Plusieurs hôpitaux et centres ont mis en place de procédures de suivi et de prise en charge (Consulter les sites Web spécifiques)

  • Les patients doivent-il arrêter de prendre certains médicaments, notamment les anti-inflammatoires non-stéroïdiens et les corticoïdes ?

Pr TURHAN : Comme cela a été signalé à la prise des anti-inflammatoires non stéroïdiens est contre-indiquée. Il ne faut bien tendu pas arrêter un traitement corticoïde sans l’avis de son oncologue ou hématologue. En cas de douleurs il faut prendre du paracétamol ; sans dépasser la posologie de 2-3 grammes / jour. L’ »aspirine à forte dose étant un anti-inflammatoire n'est pas recommandé mais l’aspirine (ou kardegic) à faible doses, souvent prescrits en hématologie ou cardiologie peut être poursuivie.

  • Les symptômes sont-ils différents, ou plus forts, chez ces patients considérés comme "fragiles" ? Et que faire en cas de symptômes ?

Pr TURHAN : Non, les symptômes sont similaires à ceux observés dans la population générale, tout en sachant qu’il semble exister, d'une part des formes cliniques légères, avec une fièvre et toux rapidement régressives (la grande majorité) et d’autre part les formes plus graves d’emblée, ces dernières nécessitent bien entendu la prise en charge en urgence comme pour tous les patients. On ne sait pas actuellement, mise à part l’étude chinoise ci-dessus, si les formes graves sont plus fréquentes chez les patients atteints de cancer. Dans tous les cas, en cas de démonstration de la détection de la maladie COVID-19, il faut prendre contact avec l’oncologue ou l’hématologue qui suit le patient pour une prise en charge adaptée.

  • Conseils pour un patient en traitement

Pr TURHAN : L’épidémie CoVid risque d’être longue. Il n’est pas recommandé d’arrêter les traitements et en ce qui concerne les hémopathies malignes : nous continuons les traitements par des inhibiteurs (par exemple les inhibiteurs de tyrosine kinase). Cependant pour certains cancers (notamment lymphomes), certaines séquences de traitement d’entretien (les patients étant en rémission, on continue dan certains cas un traitement léger dit d’entretien) peuvent être reportées. Dans tous les cas où cela est possible, nous favorisons actuellement des téléconsultations sans présence physique.

  • Conseils pour un patient en parcours de soins post-cancers

Pr TURHAN : Pour les traitements lourds : Greffe de moelle, traitements par CAR-T des hémopathies: il est recommandé tant que cela est possible, de reporter ces procédures.

Pour les leucémies aiguës récemment diagnostiquées : il est impératif de mettre en place un traitement en hématologie dans les services spécialisés Dans tous les cas : Respectez les consignes de distanciation, regèles d’hygiène, RESTEZ CHEZ VOUS

  • Conseils pour les patients qui suivent des soins de supports post-cancers

Pr TURHAN : Les mesures de port de masques : sont les mêmes que celles pour la population générale. Globalement, Respectez les consignes de distanciation, règles d’hygiène, RESTEZ CHEZ VOUS

  • Comment continuer la pratique d'activité physique adaptée qui leur a potentiellement été prescrite, pendant le confinement ?

Pr TURHAN : La pratique d’une activité physique est tout à fait recommandée tant que cela est possible pendant la période de confinement.



Interview réalisée avec le Professeur Ali TURHAN : Chef du Service d’Hématologie Bicêtre & Paul Brousse, Faculté de Médecine Paris Sud & Saclay, Directeur de Recherche Inserm U935, INGESTEM Pluripotent Stem Cell Infrastructure.

mise à jour le 10.04.2020

Professeur Ali TURHAN (Crédit photo : Vanessa von ZITZEWITZ)

Nous remercions vivement le Professeur Ali TURHAN pour sa participation. Si vous vous posez des questions plus précises, nous vous invitons à interroger votre oncologue qui vous suit habituellement.